Caprice de riches

Le tourisme spatial se place en orbite

Un trekking sur Mars? Pas encore. Mais pour 100000 dollars, envolez-vous à plus de 100 kilomètres de la Terre. Voici les projets fous des tour-opérateurs des étoiles

Oubliez le safari au Kenya, odieusement galvaudé, ou le vol en montgolfière survolant les steppes de Mongolie, affreusement dépassé. Pour l’Homo touristicus rêvant de jouer les grands aventuriers à la Conrad, il existe désormais une solution: s’offrir un ticket aller et retour pour… l’espace. Il y a l’option grand grand luxe à 20 millions de dollars choisie par le milliardaire Dennis Tito, qui est allé jusqu’à la Station spatiale internationale. Ou l’option maxi-promo: une escapade suborbitale (c’est-à-dire au-delà de l’atmosphère terrestre, à plus de 100 kilomètres d’altitude), avec apesanteur et tout le tintouin, pour une misère, 100000 dollars (80000 euros).

De la science-fiction? Eric Anderson, le PDG de Space Adventures, se définit comme le «premier tour-opérateur de l’espace. Quand j’ai créé la société en 1998, on nous prenait pour des rigolos. C’était avant qu’on envoie Dennis Tito dans l’espace en 2001, puis Mark Shuttleworth l’année suivante, nos deux premiers clients.» Et ce grâce à un astucieux partenariat avec l’Agence spatiale russe, qui, à court d’argent, en est réduite à brader des places à bord de ses fusées Soyouz. Space Adventures a déjà réservé une place pour le prochain lancement et devrait très prochainement envoyer en orbite son nouveau client, Greg Olsen, un autre millionnaire. Mais le voyagiste voit plus grand: «A terme, le tourisme spatial va se démocratiser», assure Eric Anderson. C’est sûr, 20 millions de dollars pour ce Space Mountain de luxe, ce n’est pas donné. D’où les fameux billets à 100000 dollars pour un vol suborbital. Même si aucune date précise n’est fixée – on parle de 2006, 2007 –, la société a en tout cas déjà enregistré 100 dépôts de 10000 dollars. Parmi ses clients, quelques stars comme James Cameron, le réalisateur de «Titanic». Des entreprises comme Oracle, qui a décidé d’offrir un billet à son programmateur le plus talentueux, ou un chocolatier norvégien qui vient de lancer un grand concours promo avec le ticket pour l’espace en premier prix. Mais les clients de Space Adventures sont surtout des – riches – particuliers.

 Tel Per Wimmer, banquier d’investissement, qui trépigne d’impatience. «J’ai eu la chance de pas mal voyager autour du monde. L’espace, c’est la dernière frontière! Moi, j’ai payé mes arrhes en 1998. J’ai fait tout l’entraînement. J’ai assisté à l’embarquement de Dennis Tito pour la station internationale. Maintenant, c’est beaucoup plus concret, je sais que je devrais décoller d’ici moins de deux ans.»
Et des gens comme Per Wimmer, il y en a. La société de conseil Futron (qui par ailleurs réalise des études fort sérieuses et bourrées de chiffres sur l’aérospatiale et les technologies de communication) vient de sortir la première étude de marché sur le tourisme spatial: selon Futron, d’ici à 2021, le marché du «suborbital» pourrait représenter 700 millions de dollars pour 15000 passagers par an. Le marché de l’«orbital», le long-courrier, lui, pourrait peser 300 millions de dollars. 

Déjà d’autres tour-opérateurs se sont mis sur les rangs. L’intrépide Richard Branson, PDG de Virgin, qui a créé Virgin Galactic, son agence de voyage de l’espace, aurait déjà enregistré 7000 réservations, malgré des tarifs plus onéreux que chez Space Adventures: 200000 dollars pour le ticket, mais le prix comprend trois jours de formation. Il compte envoyer son premier client en orbite dans trente mois. «Moi, mes parents, mon fils et ma fille, nous voyagerons à bord du premier vol», assure Branson. Reste à trouver le moyen de transport. Et là c’est – presque – chose faite. En octobre, SpaceShipOne, une  fusée privée, a réussi à effectuer deux vols suborbitaux d’affilée, dépassant la barrière fatidique des 100 kilomètres d’altitude qui démarque le début de l’espace, après un premier vol avec passagers réussi en avril. Elle a ainsi gagné le très convoité Ansari X-Prize, un prix de 10 millions de dollars sponsorisé par une poignée d’entrepreneurs dingues de cosmos, convaincus qu’on pouvait réitérer avec l’espace la grande aventure des fous volants dans leurs drôles de machines.
Les fusées et les vaisseaux spatiaux ne sont plus le domaine réservé de la Nasa, bien au contraire. SpaceShipOne a été construite par la start-up Scaled Composites, dont le principal investisseur est Paul Allen, confondateur de Microsoft. Mais il y a d’autres concurrents (voir ci-dessous) dont Elon Musk, qui a fait sa fortune grâce au Net. «Pour moi, cela n’a rien d’un hobby. Je veux que ce business devienne rentable. Quand Henry Ford parlait de faire des voitures pas chères, on lui rétorquait que les chevaux faisaient tout aussi bien.». SpaceX, la start-up d’Elon Musk, a déjà décroché quatre contrats pour ses fusées réutilisables qui seront lancées, sans passagers dans un premier temps, à des prix défiant toute concurrence: de 6 à 18 millions de dollars le lancement. Parmi ses clients, un certain Robert Bigelow, qui a fait fortune avec des hôtels à Las Vegas. Ce magnat de l’immobilier a un rêve: créer la première chaîne d’hôtels de l’espace. Il a carrément décidé d’investir 500 millions de dollars dans son projet (près de 400 millions d’euros)! Et Bigelow a aussi ses labos de recherche: sa société a déjà conçu un prototype d’habitation, le module Nautilus, un habitacle en forme de pastèque dont le volume intérieur de 330 mètres cubes rivalise tout à fait honorablement avec l’International Space Station et ses 425 mètres cubes. Dans les autres projets, des habitations spatiales… gonflables! Qui sait? Demain on pourra peut-être réserver une cure de thalasso sur Saturne, un trekking dans les dunes rouges de Mars ou un week-end en amoureux sur la Lune.

Doan Bui


Des milliardaires qui ont la tête dans les étoiles

John Carmack (Doom)
C’est le gourou des jeux vidéo. Le créateur des cultissimes Doom et Quake, des jeux violents de «shoot’em up» où il faut dégommer son adversaire. Mais la deuxième passion de John Carmack, c’est l’espace. D’où le lancement de sa société Armadillo Aerospace, qui clame fièrement: «Avec notre PDG, sans peur, on ira tous ensemble dans l’espace.»

Jeff Bezos (Amazon.com)
Il voulait appeler l’un de ses enfants Warf, du nom d’un des Aliens de «Star Trek», sa série culte. Sa femme l’en a empêché. Jeff Bezos a aujourd’hui 40 ans, et sa fortune personnelle est évaluée à 4,3 milliards de dollars par le magazine américain «Forbes», mais il a toujours «envie d’aller là-haut» et a créé dans le plus grand secret Blue Origin, qui travaille à l’élaboration d’une fusée et a comme objectif d’«installer durablement l’homme dans l’espace».

Richard Branson (Virgin)
Il ne manquait plus que lui! A 55 ans, le plus flamboyant des entrepreneurs, qui pèse 2,2 milliards de dollars, a annoncé la création en 2004 de Virgin Galactic, une société qui sera spécialisée dans le tourisme spatial. Richard Branson a juste annoncé que, pour le premier vol habité en zone suborbitale, il paierait un ticket à toute sa famille, femme et enfants. Et même à sa môman.

Paul Allen (Microsoft)
A 45 ans, Paul Allen, le camarade de Bill Gates, le cofondateur de Microsoft et troisième entrepreneur le plus riche du monde, selon «Forbes», avec une fortune de 20 milliards de dollars, est l’un des pionniers du tourisme spatial. Allen est l’un des principaux investisseurs de Scaled Composites, la start-up à l’origine de l’exploit de SpaceShipOne, la première fusée privée à avoir réussi en 2004 trois vols suborbitaux – en franchissant la limite des 100 kilomètres d’altitude.